Patrimoine

L’EMPREINTE DU TEMPS A CHAVIGNY

Si l’originalité du patrimoine de Chavigny  se situe peu dans son habitat et ses monuments, à l’exception notable du quartier des Castors, Chavigny situe son originalité patrimoniale davantage dans les effets d’un relief tourmenté. 
 
Ce relief tourmenté a induit des marques dans son paysage, à travers la nécessité de créer une voie de communication « accidentée » entre la mine et l’usine : le fameux Coucou minier
 
Il a aussi imposé sa marque lors de la création d’une autre voie de communication, notamment pour permettre, déjà à l’époque, le déplacement des populations de l’agglomération de Nancy en direction de ces verts espaces de forêt et de prairies, jusqu’aux beaux points de vue des hauts de Pont Saint Vincent : la Voie du Tram. 
 
Enfin, la marque originelle d’un village constitué d’îlots dispersés sur les flancs de la vallée, a induit la création de multiples sentiers, dont certains ont constitué le réseau de rues actuelles, mais dont de multiples autres restent, malgré l’urbanisation, des marqueurs de ce passé de vendangeurs et laboureurs, voire de travailleurs du minerai et font maintenant le bonheur des randonneurs. 

N’oublions pas, pour terminer, en dévalant la route principale qui relie le grand Nancy à la CCMM, ces fontaines qui attestent de l’importance de l’eau dans cette Commune, eau dont la réputation a dépassé depuis longtemps les limites de Chavigny. 

LE PLATEAU ET L’EAU

Autrefois le plateau de Brabois était appelé « pleine de Chassey ». Au lieu-dit « Clair Chêne » ou « Fontaine Charlemagne », une source jaillissait naguère. Cette eau canalisée jusqu’au bord de la route alimentait une fontaine et la ferme de Monsieur de Brabois. Les nombreuses fontaines qui longent le trajet illustrent la place prise par cet élément du patrimoine. 

LE COUCOU MINIER

1872 marque un tournant dans l’histoire sidérurgique de la vallée. Dix-huit actionnaires principaux, dont M.Lespinats, maître de forge à Pont-Saint-Vincent et M Michaud, propriétaire des cristalleries de Baccarat, fondent la Société anonyme de la Haute-Moselle. 
Cette société achète 4OOO hectares de concession minière et obtient l’autorisation de l’ouverture de la mine du Val de fer. Le minerai extrait sera réduit en fer et en acier à l’usine sidérurgique de Neuves-Maisons, construite simultanément dans la vallée. Cette mine de fer comptait plusieurs accès à Chavigny, au Val de fer, à Chaligny et à Neuves-Maisons que les mineurs empruntaient en fonction de leur lieu d’habitation. En revanche, le minerai de fer n’était évacué que par la seule sortie du Val de fer.

1885 voit la création d’un chemin de fer minier : le « coucou », de la sortie de la mine Val de fer au canal de l’Est, soit six kilomètres de voies équipées d’un tunnel garage de quarante mètres et empruntant trois ponts dont celui du « coucou », ainsi qu’un tunnel de 120 mètres, au cœur de Chavigny. 

Creusement de tunnels et érection de murs entraînent des perturbations et nuisances pour une partie des Chavinéens. M. Lespinats propose 10 000 francs de dédommagement à la commune de Chavigny qui accepte d’autant plus que l’implantation de la Société de la Haute-Moselle a favorisé le village dont la population a fortement augmenté (800 habitants dans les années 80 contre 500 au maximum en 1850). 

Les vestiges extraits du site du nouveau lotissement «Haldat-Tram», attestent de cette page de la vie économique et sociale de la Commune. Une rue va d’ailleurs prendre le nom de « Bas-Fourneaux », ces petits fours qui servaient à transformer le minerai. Mais, qui dit Haldat-Tram, dit…

LE TRAM

Dans les années 1910, la Compagnie des Tramways Suburbains se voyait octroyer la concession de deux lignes, dont l’une du marché de Nancy à Pont Saint Vincent, avant que la CGFT ne prenne la succession, modernisant ainsi le réseau, tant des machines que des lignes, passant progressivement de 50 à 80 km/h. Malgré ces progrès, le tram fut abandonné en 1952, au profit des autobus. 
 

Néanmoins, le tramway a laissé l’emprise de sa voie, d’un bout à l’autre du territoire, devenant un charmant circuit de promenade ; la place de la Gare, avec l’ancienne gare et le Pont du Tram restent des marqueurs de ce passé récent.

L’EPISODE CASTORS

Si Chavigny ne possède pas de monuments remarquables, la Commune possède un particularisme indéniable avec la création de ce quartier dit des « Castors » ; particularisme tant du point de vue architectural que dans l’investissement humain pour sa construction.
 
Ces « Castors », constructeurs solidaires de leur habitation étaient des employés de la Mine et de l’usine sidérurgique. Ces habitations  attestent de la grande page de vie qu’a été et qu’est encore l’exploitation minière pour la collectivité locale. 

Les gens des Castors

Notre commune a connu dans les années cinquante, un mouvement coopératif ouvrier autour de la construction de logements à une période où il était difficile de se loger. Ce mouvement baptisé « les Castors » a connu un franc succès en France et au-delà.

Voici ce que dit le Petit Larousse « Mouvement des Castors » : Groupement réunissant des personnes ayant pour objectif de construire en commun leurs maisons sans faire appel à des entrepreneurs. Né en Suède, développé en Belgique, au Canada, en Angleterre, et, depuis 1948, en France.

Face à la crise du logement, des familles se sont regroupées pour construire ensemble leurs maisons avec un esprit de solidarité et d’entraide qui s’est poursuivi au‐delà de la construction. Ils le faisaient après leurs heures de travail et les jours de repos.

La rue des Castors se prénomme ainsi car c’est dans cette rue que les familles ont construit leur maison. Avant c’était un sentier : il s’appelait pour certains « la route des gaulois ». Après, ce fut l’ancienne route de Nancy.

52 maisons y furent construites de 1952 à 1970.

Pour raconter cette histoire, la commune de Chavigny s’est associé à l’évènement culturel organisé par la Communauté de Communes Moselle et Madon autour de la mémoire du travail.

« Les Gens des Castors » a permis de témoigner de cette épopée humaine et de faire connaître aux habitants cet épisode de l’histoire du village.

Un comité de pilotage a rassemblé les témoins encore en vie de la construction des Castors à Chavigny et à Pont-St-Vincent.Plusieurs habitants des Castors (Emilie Renard, André et Jeanne Joubert, Bernard et Noëlle Burgel, Paul Belot, Raphaël Corazzi, Gilbert Lurot, Pierre Mourot, Edgar Toret, René Pires, Nadine Pernollet, Evelyne Fontaine) ont raconté leur histoire, apporté des photos d’époque sur la construction des 3 tranches ( la 1ère de 1952 à 1955, la 2ème de 1957 à 1962, la 3ème de 1964 à 1970) et les conditions de vie (« On faisait nos 8H00 de travail puis après nos 8H00 de construction ; les heures de travail étaient décomptées pour le prix de la maison ; au début, le terrassement et les fondations se faisaient à la main”).

Le comité des Sages (Yvette Carabel, Fabienne Pannequin, Claude Gerner, Jean-Claude Bonnefont)  et le comité des fêtes ont participé aussi à ce travail de mémoire.

Une exposition, un film, des conférences ont fait revivre cette époque.

Témoignages

« Il ne faut pas mélanger les tranches : c’était différent à chaque fois.
Au début, il y a eu 22 constructions de 1952 à 1955. La 2ème tranche s’est déroulée de 1957 à 1962. La 3ème de 1964 à 1970. On ne savait pas ce qu’il y aurait en creusant. Au début, le terrassement se faisait à la main. On faisait les fondations à la main puis après avec la bétonneuse.
La 2ème tranche, ils ont bénéficié des petites erreurs de la 1ère. Dans la 2ème tranche, les maisons étaient mieux que dans la 1ère.
On faisait nos 8H00 de travail puis après nos 8H00 de construction. C’était les hommes qui travaillaient.
La 3ème tranche, ce sont des maisons jumelées. Les heures de travail étaient comptées. Elles étaient décomptées sur les remboursements d’emprunts. Il y avait aussi des femmes qui travaillaient.
Le CE (Comité d’Etablissement) de l’usine de Neuves-Maisons a joué un rôle dans la construction des Castors car il y avait à l’époque, une crise du logement. Il y a eu le mouvement Emmaüs sur les Saules. Il y avait M. RIGOT, LECLERE et Bébert THOUVENEL.
M. LECLERE était administrateur du Foyer Lorrain. Il a remis en selle la loi LOUCHEUR de 1920. Les terrains étaient achetés par le Foyer Lorrain. La rue des Castors, c’était la route des Gaulois. M. MAUPIN de l’Usine (SAM) a fait les plans. Il y a eu des erreurs. Par exemple, pour descendre au sous-sol, il fallait passer par la salle de bains !

Comment vivait-on avant la construction des Castors (logements, travail, vie quotidienne…) ?

A l’époque, dans les logements, il n’y avait pas de salle de bains. Les W.C. étaient au fond du jardin. La plupart des maisons avaient 3 pièces.
Une coopérative de l’usine vendait aux familles des produits pour la vie de tous les jours et un camion faisait les tournées dans les villages.
Les mineurs avaient droit tous les mois à du vin, du rhum, des rations d’aliments en plus des autres familles (par exemple : 200 gr de beurre au lieu de 100 gr).
Le rationnement a été en vigueur jusqu’en 1950. Les travailleurs de force avaient plus que les gens.
Avant, on allait chercher l’eau à la fontaine. Il n’y avait pas de gaz. Les WC étaient à l’extérieur. (PSV)
On sortait de la guerre, il fallait reconstruire.

Comment vivaient les enfants aux Castors (école, copains et copines, jeux…) ?

Les enfants disaient que c’était la bouillasse (la boue). Ils descendaient en sabots. Ils les laissaient à la fontaine puis ils prenaient le bus pour aller à l’école. Le tram ne passait plus après la construction des Castors.
Les enfants étaient ensemble et avec d’autres, ils participaient à des activités proposées par l’équipe St Julien (PSV).
A Chavigny, ils étaient 21 pour la 2ème tranche. 50 enfants en tout.

Comment est venue l’idée de construire, de choisir les terrains, de choisir les propriétaires ?

 La vente des maisons se faisait sur le principe de la location-vente (locataire attributaire) avec des assurances.
L’usine devait donner le 1% logement : les Castors ont eu le 1% logement.

Comment se sont construites les maisons (équipes, matériaux, difficultés, plans…) ?

M. CHEVRIER, sous-directeur de l’usine sidérurgique de Neuves-Maisons et M. LECLERE Lucien (maire de Chavigny) étaient responsables pour l’achat du matériel pour les Castors. M. RIGOT, directeur de l’usine venait voir les gens qui construisaient les maisons.
Tout le matériel était fourni par l’usine.
C’est le Foyer Lorrain (Caisse des Dépôts et Consignations) qui avançait l’argent pour l’achat du matériel.
Le ciment était fourni dans des sacs de tulle. Après l’utilisation, il fallait rendre les sacs.
Les  toits sont en 2 pans et pas en 4 pans (solution plus chère et plus technique). Les tuiles étaient toutes les mêmes (de la « Jeandelaincourt » ou des Vosges).
Pour les travaux, l’usine a acheté et réparé une bétonneuse et ensuite nous l’a prêtée
En même temps, les constructions commençaient au Haut du Lièvre.

Comment la vie s’est organisée après l’entrée dans les maisons (réunion, voisinage, solidarité..) ?

Les habitants étaient tous du même âge, avaient le même métier (mineur ou sidérurgiste). Les enfants avaient aussi le même âge.
Avec les Castors, on avait un lavoir personnel. Il y en a qui est pour une gauchère.
Les gens cultivaient les jardins par besoin, pour leurs besoins quotidiens.

Entretien avec Mr et Mme BARBIER Marcel (recueilli par René DENILLE 10 septembre 2007)

Nous sommes rentrés en Janvier 1956. Il faisait très froid (hiver très rude). J’avais 32 ans (08 septembre 1924) et ma femme 28 ans. Il n’y avait pas d’électricité : on s’éclairait à la lampe à carbure. On chauffait avec plusieurs fourneaux (charbon) puis on a mis le chauffage central au fioul (1968) puis au gaz (1978). Au début, il n’y avait pas de volets. J’en ai demandé au maire (« il faut des volets »). Ils ont été installés et étaient en bois.

On faisait partie du 1er groupe des Castors (22 personnes toutes nées à Chavigny et soit mineurs ou sidérurgistes).
On habitait chez mes parents(Monsieur) à l’étage dans un 2 pièces. Mes parents habitaient en dessous. C’était rue de Neuves-Maisons après la dernière fontaine. Il n’y avait pas de salle de bains ni l’eau courante. Les toilettes étaient dans le jardin. On allait chercher l’eau à la fontaine.

On s’est marié en 1948 à Neuves-Maisons. Avant d’habiter aux Castors, on a eu 2 fils (58 ans ½ et 56 ans ½), le troisième est né aux Castors (51 ans).

J’étais chimiste au Laboratoire de l’usine sidérurgique de Neuves-Maisons. J’analysais le minerai et la fonte. J’ai travaillé pendant 32 ans de 1946 à 1978. Avant, je me suis engagé volontairement dans la 1ère armée de libération à 17ans ½. De 14 ans à 17ans ½, j’étais à l’écluse de Méréville aux turbines de Messein avec mon père.

Je faisais les postes : les 38H00. Une semaine du matin, une semaine d’après-midi, une semaine de nuit. Pendant 2 ans, j’ai travaillé du matin et de nuit: je faisais les nuits d’un collègue et lui faisait mes après-midi. Ça l’arrangeait car il avait du mal à faire les nuits (problème de santé) et moi aussi. Comme çà, j’étais disponible les après-midi pour travailler aux Castors.
Car après chaque poste, j’allais aux Castors : à la fin du poste de nuit (04H00 du matin), j’y montais jusqu’à midi. Après j’étais le 10ème inscrit sur les 22. C’est Monsieur NONNE qui m’a informé du projet. C’est le maire Monsieur LECLERE qui a lancé le projet des Castors. On devait s’inscrire à la mairie. Le choix des maisons se faisait à la fin de la construction mais pour certains c’était déjà fait puisque les terrains appartenaient à leurs parents; Moi, j’ai eu le choix entre deux maisons. C’est le maire qui a proposé et j’ai choisi celle-ci (là où j’habite en ce moment).

On était tous copains, on était tous bien ensemble mais on n’aidait pas lorsqu’il y avait des choses à refaire. Parfois, on manquait d’eau. Il n’y avait pas assez d’eau pour tout le village. Le bas du village utilisait beaucoup d’eau (il n’y avait pas de compteurs d’eau : ils ont été installés après).

Alors on allait chercher de l’eau à la source qui coulait chemin de la vierge avec des seaux; on l’a fait plusieurs années. Ça s’est amélioré après l’installation du surpresseur.

Ces maisons, c’étaient le modernisme au niveau de l’urbanisme. Le maire venait souvent suivre les travaux.
On a tous terrassé à la main avec une pioche, une pelle et une brouette. Sur mon terrain, c’était une vraie carrière avec des blocs de pierre énormes qu’on a enlevé à la main. Pour être de niveau, il a fallu creuser plus d’un mètre pour pouvoir faire les fondations (il fallait creuser dans la butte). C’était la même chose pour les autres (au moins pour 12 maisons). « on a eu les ¾ du pain cuit ».

Les maisons vers le bas de la rue, ont eu des inondations dans le sous-sol (à cause des sources), ici j’ai été tranquille. On faisait le béton avec du laitier de l’usine. On faisait des coffrages avec du bois pour le béton pour la chape : on mettait du sable, des cailloux et du laitier (ciment). C’est l’oncle de ma femme qui transportait le laitier donné par l’usine.
Mon père nous a aidé tous pour les angles des maisons avec des agglos car il fallait que cela soit droit. Après on montait les murs avec des pierres (45 cm de côté) de la carrière Nanquette. Les mineurs les extrayaient puis elles étaient transportées par wagonnets jusqu’à la mine du Val de Fer. Ensuite, nous les chargions dans le camion de Monsieur Sutter (entrepreneur) qui les amenait aux Castors.

La charpente venait des Vosges. Elle arrivait toute faite en pièces détachées par bouts numérotés. On les montait à l’os et on les assemblait après autour de la poutre du milieu. Les tuiles du toit venaient de l’usine (de Neuves-Maisons). Pour le suivi, mon père et Yvon Blot regardait les plans.

On accédait au sous-sol par une porte situé dans la salle de bains. C’est le Foyer Lorrain qui s’occupait de cela (la charpente, le transport des pierres…). La rue a été construite après; on a marché souvent dans la gadoue, « c’était comme des sillons de labours ». Il devait y avoir un rond point au bout de la rue avec un escalier près de ma maison pour accéder au RD 974. Mais cela ne s’est pas fait.

Lorsque j’ai installé le chauffage central, un artisan a fait les plans. Je les ai donnés après pour d’autres castors. Ils ont tourné. Toutes les pièces (les chambres, le salon, la cuisine, la salle de bains, les WC) étaient sur le même étage. Au sous-sol, le mur de refent en béton coulé sépare le garage de la cave et de la buanderie. Je faisais mon jardin et ainsi on avait des légumes, des fruits. On avait des tickets de rationnement jusqu’en 1948.

Les enfants s’amusaient tous ensemble et surtout dans la nature. Ils étaient tous copains. Ils allaient tous, les uns chez les autres. Ils construisaient des cabanes dans les arbres, des caisses à savon et ils dévalaient la rue. Il y avait un bon voisinage. Mais on ne se voyait pas comme pendant la construction sauf avec quelques uns, des amis.
Le prêt était de 1 738 638 Frcs (anciens francs) sur 30 ans : j’ai remboursé du 1er janvier 1955 à 1981.

Témoignage de Mr et Mme Pierre MOUROT (recueilli par René DENILLE 11 septembre 2007)

J’ai 82 ans et ma femme a 80 ans. Nous allons fêter 61 ans de mariage. On s’est marié en 1946.
J’ai travaillé 45 ans (15 ans chez, 15 ans à la mine comme contremaître et 15 ans à la CEM).
C’est le maire Monsieur LECLERE (nous sommes parents avec lui) qui nous a informés du projet. Il avait lu dans une revue un article qui parlait de la construction de maisons Les Castors en Bretagne. Il s’est dit pourquoi pas à Chavigny.
Au départ, cela devait se faire Rue des Prés mais il y a eu des problèmes avec les terrains. Il y avait beaucoup de propriétaires.
Le maire a convoqué une réunion un samedi à la mairie. Nous étions une vingtaine présent. A l’époque, on vivait chez mes parents (de Pierre) au n°7 rue du Bouchot. Il n’y avait pas de logements. Tout le monde vivait dans les mêmes conditions. On est resté 4 ans chez les parents de mai 1951 à décembre 1955. Les parents étaient impatients que nous rentrions dans notre maison.

Nous étions 7 dans 3 pièces à l’étage (ma tante habitait au rez-de-chaussée avec ses enfants aussi). Il y avait mon père et ma mère, mon frère et nous avec nos deux enfants (nés en 1947 et 1949). On n’avait pas de WC à l’étage (ils étaient dehors dans le jardin). Pour l’eau, on allait à la fontaine en bas de la rue du Bouchot. Pour laver son linge, il y avait 3 places seulement donc 3 planchers pour les laveuses. Chacune voulait avoir la 1ère place près de l’évacuation pour ne pas avoir la saleté des autres laveuses. Alors le matin, le mari réservait la 1ère place en mettant un torchon sur la planche à laver et personne ne bougeait le torchon. On a eu l’eau courante en 1949.

Il y avait le café de la paix et la salle de bal (maison de Mme MAURICE Claire).
Le géomètre, Monsieur MOMPAS est venu délimiter « les chaises ». On fixe aux 4 coins de chaque terrain un pieu avec un clou. On tend une ficelle entre chaque pieu et on obtient les dimensions extérieures de la maison (le bornage). Ma propriété fait 6 a 05 ca.

On creusait à la main. A la pioche, à la pelle avec une brouette. Il y a eu un wagonnet mais c’était pour une seule maison et on a vite arrêté. La terre retirée était mise de côté. On attaquait la butte. Il y avait une différence de 2 mètres entre le bas et le haut du terrain (terrassement). Le terrain était constitué d’une couche de glaise puis d’une couche de « mine » (rouge), une couche de glaise, une couche de « mine » et ainsi de suite. Une bétonnière a été louée par la suite.
On a commencé un dimanche d’automne 1952. On pointait les heures de travail qu’on faisait aux Castors. On quittait le travail et on se rendait aux Castors pour la construction de nos maisons. Je faisais mes 8H00 à la mine et après j’allais aux Castors. Les travaux ont duré 3 hivers et 3 étés (1952 à 1955). Les travaux étaient en fonction du nombre d’hommes présents sur le chantier. Si on était 3 ou 4 (en fonction des postes de travail), on terrassait. Si on était plus, on coulait du béton, on montait les murs…La construction était échelonnée. Il y avait en permanence une dizaine de gars. Si on coulait une dalle, on était tous là.

Les pierres (les moellons) venaient de la carrière Nanquette. Elles étaient gratuites mais on devait les charger dans le camion de Monsieur SUTTER qui nous les livrait. Par la suite Monsieur SUTTER a acheté une pondeuse d’agglo (machine qui fabriquait des agglos).

Les moellons étaient façonnés par deux maçons qui avaient été embauchés pour nous aider. Les angles des murs étaient en agglos. Pour 2 ou 3 maisons, ils sont en moellons mais on a abandonné car c’était trop difficile. On montait les murs avec de la chlaine et du laitier pour le ciment. Les murs font 40/50. Les Castors 2 eux font 20.
On faisait un coffrage en dessous avec des panneaux puis on coulait la dalle avec de la « chlaine » et du ciment-laitier. La « chlaine » (remplaçait le sable) était un résidu des hauts fourneaux. L’usine l’amenait aux Castors. Les panneaux en bois étaient confectionnés par deux menuisiers de l’usine, Messieurs MANGEL et CHONE. Dans les Castors 2, à la place du coffrage pour le béton, ils ont mis des ourdis.

Ce qui était pratique, c’est qu’on travaillait sur place. Je mettais 20 mn pour aller à la mine et 20 mn pour retourner chez moi. Je prenais le chemin de la Botte et je passais par le bois jusqu’à la mine du Val de Fer ou je prenais par en dessous par le chemin de la mine. Alors, j’étais rapidement aux Castors pour travailler sur les terrains.
Pour les vitres, c’est Monsieur RENARD qui était vitrier qui les a posées avec Monsieur WITTMANN son patron.
Les égouts ont été faits en même temps. Au début avec un puits perdu qui se situait derrière la maison de Monsieur JOUBERT (qui n’existait pas à l’époque). Puis après, il y a eu raccordement vers le RD 974.
La maison nous est revenue à 1 738 636 francs (anciens francs) : 115.000 Francs (nouveaux) en 1979. Le prêt était sur 30 ans. Je payais 7154 francs (anciens) par an, 858,48 francs (anciens) par mois. Début du paiement le 1er janvier 1955. Pendant 5 ans, nous n’avons pas payé la taxe d’habitation.

Les mensualités étaient directement retirées sur la paie par la mine.
La mine devait loger ses ouvriers ou donner une allocation logement. Elle devait fournir le chauffage aussi.
Le Foyer Lorrain s’occupait des assurances pour les maisons (il était propriétaire jusqu’à la fin du remboursement).
J’étais membre du comité du Foyer Lorrain. Mlle RIGOT (fille de l’ancien directeur de l’usine) était la responsable du Foyer Lorrain. Il existait depuis la loi Loucheur.

Le prix des actions étaient de 21 030 francs en 1979 (nouveaux francs). Le principe de l’achat de la maison était le système de la location-attribution. Pour cela, on a pris des actions : 2103 actions de 10 francs chacune (1979) numérotées de 57.615 à 59.717.

Pour le choix de la maison, au départ, il devait y avoir un tirage au sort à la fin des travaux. Mais comme la plupart des propriétaires des terrains qui ont été vendus au Foyer Lorrain étaient les parents de ceux qui construisaient, alors le choix était déjà fait au départ. Les parents voulaient que leurs enfants aient leurs terrains. Chaque enfant choisissait donc le terrain de ses parents.

Un autre, qui voulait acheter la vigne à côté du terrain souhaitait avoir celui-là (Monsieur DOMPE).
Un autre possédait le terrain derrière.
Pour moi, j’ai eu le choix entre 2 maisons.
On est rentré à Noël 1955. Il faisait très, très froid. J’avais 30 ans et ma femme 28 ans. Il n’y avait pas d’électricité. On s’éclairait à la lampe à carbure. On était dans la boue souvent (la route n’était pas faite).

On se chauffait au charbon. On n’avait qu’un seul fourneau. Il y avait une salle de bain et un WC à l’intérieur. La maison était habitable mais il fallait l’améliorer. Il y avait l’eau courante (pas l’eau chaude, ça viendra après).
Nos deux enfants avaient une chambre chacun. En tout, il y avait 4 pièces, cuisine, salle de bains.
Il y avait un garage; le Foyer Lorrain a anticipé sur l’avenir.

Après, on ne se retrouvait pas ensemble. On restait chacun chez soi. On se retrouvait au bal. Il faut dire que nous avions à conforter nos maisons à l’intérieur. Cela prenait du temps. Entre le haut et le bas des Castors, on ne se voyait pas beaucoup. Un peu comme le haut et le bas du village (la petite auvergne : des auvergnats que l’usine avait fait venir pour travailler car on manquait d’ouvriers à l’aciérie).

Le surnom des habitants de Chavigny était « les coucous » (allez nicher dans le nid des autres) à cause du coucou (le train minier) qui traversait tout Chavigny avant d’aller à Neuves-Maisons.
A Neuves-Maisons, c’était « les mésanges ».

Les enfants se fréquentaient facilement mais le haut ensemble et le bas ensemble. Ils s’amusaient dehors dans la nature; ils ont fait des caisses à savon. Moi-même je suis descendu en traineau.

Repères historiques

Lorsqu’on évoque l’histoire des « Castors », il faut se replacer au lendemain de la 2ème guerre mondiale, essentiellement de 1950 à 1960. Le problème du logement, comme celui de la protection sociale, se posent avec force au lendemain de la libération.
Sans parler des immeubles détruits dans les zones de bombardement, un grand nombre de logements présentent ailleurs un aspect vétuste, délabré, insalubre. D’autre part, de nombreux jeunes hommes et jeunes femmes – dont les premiers Castors – aspirent à un logement sain, agréable, doté d’un confort normal, et possédant si possible un jardin. Mais ils sont pauvres : employés, ouvriers, n’ayant que leur salaire pour seul capital. Et pourtant, ils sont dotés d’une volonté qui résistera à l’épreuve du temps, malgré les sarcasmes dont ils seront l’objet.
Un Ministère de la reconstruction et de l’urbanisme avait été créé dès la fin de la guerre. Il y avait donc des possibilités de financement par l’Etat, mais pour concrétiser leur projet, les Castors devaient constituer un groupe, construire ensemble, les uns pour les autres, en travaillant eux-mêmes, sans relâche, afin d’aboutir à des prix plus conformes à leurs modestes possibilités financières.

On peut distinguer assez nettement deux phases du mouvement Castor :

Première période de 1945 à 1950

Des familles se regroupèrent dans quelques villes de France (Lyon, Villeurbanne) pour construire. Les groupes étaient de nombre restreint, et peu coordonnés entre eux. Ce ne fut que petit à petit que les constructeurs se rencontrèrent et confrontèrent leurs expériences, parfois par hasard, parfois du fait d’un engagement politique ou social commun. A la fin de l’année 1949, alors que les premières maisons sortent de terre, le mouvement s’étend de plus en plus rapidement et s’organise. Les trois premiers chantiers importants sortent de terre : Pessac dans la banlieue bordelaise, puis Montreuil dans la région parisienne et Rezé dans la banlieue nantaise. L’expérience pionnière du mouvement Castor organisé fut celle des membres du Comité ouvrier du logement de Bordeaux, dont le chantier débuta en 1948. Les Castors de Rezé et de Montreuil leur emboîtèrent rapidement le pas. Ces expériences furent aussi le fruit, au-delà des seules conséquences de la crise du logement – qui n’aurait pas suffi, à elle seule, à le déclencher -, de projets communautaires portés par divers mouvements politiques et sociaux. Ces mouvements communautaires étaient nés pendant l’Occupation ou juste après la guerre, et leurs initiateurs se retrouvèrent à l’origine de nombreux chantiers : d’anciens membres des Communautés de travail, telle la communauté de Boimondau de Marcel Mermoz ; des membres de l’Entente communautaire de Gaston Riby, dont était membre Michel Anselme, qui fut le secrétaire général de l’Union nationale des Castors. Les deux aspects – réponse à la pénurie de logements, projet communautaire – sont en fait présents conjointement dans la plupart des entreprises Castors, mais variables dans leur combinaison suivant les opérations, les régions, les origines des auto-constructeurs.

La seconde période : à partir de 1950

La seconde phase débute avec la création de L’Union nationale des Castors (UNC) à la fin de l’année 1950, « dans le but de coordonner l’action des différents groupements de Castors, de les conseiller administrativement, juridiquement, financièrement et techniquement, et de les représenter auprès des administrations des organismes compétents ». Le principe de l’apport-travail fut acquis avec l’expérience de Pessac, et reconnu par une décision interministérielle du 5 mai 1949. L’UNC structura peu à peu la majeure partie du mouvement Castor, jusqu’à la création en juin 1954 de la Confédération Française des Unions de Castors (CFUC), réunissant les associations départementales de la Seine et de la Seine-et-Oise, et l’UNC. Mais à partir du début de l’année 1955, avec le lancement du programme des grands ensembles, le mouvement commençait déjà à décliner. La préférence générale des pouvoirs publics allait désormais vers le collectif et le locatif. Après la dissolution de la CFUC en mai 1955, le mouvement Castor fut progressivement intégré dans le mouvement coopératif, sous l’impulsion constante des dirigeants de l’UNC.

Le mécanisme de la formule Castor

  • participer, pendant leurs loisirs, à la construction de leur maison, en assurant personnellement le maximum de main d’oeuvre non-spécialisée, et en complétant ainsi l’insuffisance des prêts consentis par l’Etat
  • planifier les travaux à effectuer, rassembler les achats de matériaux et, en construisant en série, réduire au maximum le coût de la construction.

Sources : Robert CADET, Des « Castors » à Antony ; bulletin d’information Le Castor

Pour aller plus loin

Disponible à la Médiathèque de la Filoche le film documentaire :

Les gens des Castors réalisé par JL Ciber.